La revue Jeune cinéma parle du Festival
On parle du nous ! La revue Jeune Cinéma a fait paraître un article sur la 7ème édition de Viva il cinema !
A quelques mois de la 8ème, laissez-vous embarquer par une dose de nostalgie…
VIVA IL CINEMA ! un autre regard sur l’Italie
Depuis sept ans, la ville de Tours célèbre le cinéma italien contemporain avec un festival au nom pétillant – VIVA IL CINEMA ! – qui enchante pendant cinq jours un public fidèle et curieux composé de cinéphiles, d’italianophiles, d’étudiants, de curieux, de retraités, portés par un même enthousiasme.
VIVA IL CINEMA ! s’intègre dans la vie culturelle de Tours comme un rendez-vous de qualité, depuis sa création en 2014. Son objectif se centre sur les œuvres de jeunes auteurs transalpins, permet de témoigner de l’élan créatif de la création contemporaine mais aussi de proposer aux spectateurs des réalisateurs confirmés, des exclusivités, des avant-premières, des œuvres primées à la Mostra de Venise ou de Rome, des documentaires engagés, des expériences cinématographiques d’avant-garde, des hommages. Le VIC rend hommage à la vitalité du cinéma italien en privilégiant les jeunes artistes indépendants, ainsi que leurs aînés. Car en Italie les auteurs et réalisateurs rencontrent beaucoup de difficultés pour faire connaître leurs œuvres. En 2016, Marco Tullio Giordano venu présenter son film Lea, confiait alors à notre confrère de La Croix : « les petites salles ont été détruites, remplacées par des grands complexes. Le cinéma indépendant est condamné chez nous à la clandestinité. » Comme souvent, le succès hors frontière rejaillit ensuite dans le pays d’origine. Certains films italiens bénéficient de cet écho après leur projection dans les différentes rencontres cinématographiques de France.
Ce festival est né de l’amitié fertile entre deux passionnés : Louis D’Orazio qui a assumé la présidence et la direction artistique du VIC et Jean A. Gili, dont l’expertise en la matière constitue un socle précieux. Le festival de Tours encourage la promotion du jeune cinéma italien, en sélectionnant des premiers ou seconds long métrages. La programmation intègre également les œuvres de réalisateurs confirmés pour créer des liens et des rencontres entre les différents cinéastes et proposer au public une diversité enrichissante. Pour le reste, les films sont tous des inédits ou des avant-premières.
A ses débuts, le festival a bénéficié du soutien de la Cinémathèque, de l’association Henri Langlois, de la Dante Alighieri, de l’Université et de Ciné Off. Avec l’appui financier essentiel de la ville de Tours et celui de l’association Sans Canal Fixe, spécialisée dans le documentaire.
VIVA IL CINEMA ! est porté par une association éponyme depuis 2016, constituée de bénévoles sans qui l’événement n’existerait pas. Aujourd’hui, Philippe Vendrix assure la présidence du VIC, Louis D’Orazio se concentre sur la direction artistique, avec deux conseillers artistiques : Jean A. Gili et Marco Bertozzi, spécialiste italien du documentaire.
Ce jeune festival voit son public augmenter et sa programmation s’étoffer au fil des ans, porté par l’appétit de découverte et le désir de partage que le public recherche, une participation sensible lors des débats bilingues animés par le duo Jean A. Gili et Louis D’Orazio en compagnie des réalisateurs. En 2015, une invitée d’honneur, Claudia Cardinale, a fait rayonner le festival, en venant soutenir les jeunes réalisateurs italiens. « En Italie, il n’y a pas de financement comme en France », confiait-elle, « l’industrie du cinema est très mal organisée. Mis à part les fils de Nanni Moretti, aucun ne passe la frontière. Alors j’ai décidé à ma façon d’aider le cinéma italien en participant à des premiers films, » déclarait-elle à cette occasion. En 2019, VIVA IL CINEMA ! a accueilli l’exposition en itinérance Ciao Italia ! sur l’histoire de l’immigration italienne.
Pour sa 7ème édition, le VIC 2020 a dû affronter un débat cornélien : faire venir ou non les invités italiens prévus pour la présentation des films et l’animation des débats, dans le contexte sanitaire d’un coronavirus menaçant. Les dates du festival (du 4 au 8 mars 2020) étant inamovibles, il fallait tenir compte de la pandémie galopante et d’un confinement à venir. Entre le cœur et la raison… c’est finalement sans nos amis italiens que le VIC s’est déroulé avec cependant quelques entretiens et messages des réalisateurs en compétition projetés sur grand écran. Malgré leur isolement, ils ont suivi le festival à distance, très heureux de savoir qu’il était maintenu vaille que vaille. Malgré les circonstances exceptionnelles et les adaptations de dernière minute, le festival a remporté un beau succès avec un supplément d’âme : une solidarité avec le peuple italien meurtri par la crise sanitaire…avant qu’elle ne touche la France. L’équipe de VIVA IL CINEMA ! a maintenu le cap et a assuré la projection des vingt-trois films programmés ; et le public, solidaire et toujours enthousiaste, a bravé les inquiétudes en remplissant les salles.
Certes, il a fallu des réajustements dans le jury pour les raisons sanitaires imposées et se passer de la présidence de David Grieco. C’est donc René Marx de la revue Avant Scène qui a présidé le jury pour le prix de la ville de Tours.
Parmi les temps forts du festival Viva il cinema ! cette année, mentionnons les hommages rendus à trois cinéastes au parcours empli de sensibilité.
Daniel Gaglianone avec la Mia Classe (2013), et Dove Bisogna Stare (2018), deux films qui abordent les difficultés de l’intégration des migrants dans la société, terriblement émouvants. Le premier parle de l’apprentissage de la langue comme facteur essentiel d’assimilation, à travers la pédagogie originale d’un professeur sensible aux difficultés de ces élèves réfugiés. Le réalisateur brouille les cartes entre réalité et fiction. Le second est un documentaire soutenu par Médecins sans Frontières. Il dessine le portrait de quatre femmes d’origine diverse (âge, région, profession) qui s’engagent dans la lutte contre l’exclusion et choisissent de soutenir les migrants chacune à leur manière. Leur courage et leur force d’âme témoignent d’une grande humanité.
Gabriele Salvatores avec trois films, Io non Ho Paura (2003), Il Ragazzo Invivisibile (2018) et Tutto Il Mio Folle Amore (2019), dans lesquels l’auteur développe le thème de l’adolescence de manière sensible dans des narrations aux accents oniriques. Dans L’été où j’ai grandi (traduction de Io non ho paura), Salvatores met en scène un jeune garçon de dix ans, Michele, et sa sortie de l’innocence à travers un récit initiatique. Dans Le garçon invisible, il signe un conte fantastique articulé autour du combat entre le bien et le mal. Enfin, dans Tutto Il Mio Folle Amore, adapté du roman de Fulvio Ervas, N’aie pas peur si je t’enlace, la rencontre entre un fils autiste et son père biologique se transforme en road movie et en fable onirique émouvante.
Gianni Amelio, présent avec 4 films : Lamerica (1994), Cosi Ridevano (1998), les Clés de la Maison (2004) et l’Intrepido (2013) dont la force émotionnelle bouleverse. Le premier se déroule en Albanie après la chute du régime de Ramiz Alia. Deux italiens cherchent un associé albanais, homme de paille, pour racheter une usine dans le pays. S’en suit une épopée à travers l’Albanie. Mon frère (traduction de Cosi Ridevano) parle du rapport Nord Sud à travers l’ascension difficile d’un jeune sicilien à Turin et des relations entre deux frères dont l’un se sacrifie pour que l’autre puisse étudier. L’Intrepido, aborde le thème de la précarité dans le travail, dans une fable des temps modernes qui se situe à Milan. Les Clés de la Maison traite avec pudeur de la relation père-fils dans une situation de handicap. Tous les films de Gianni Amelio relèvent le défi d’aborder des sujets délicats, sombres souvent, avec un réalisme désenchanté et cependant un humanisme.
Dans la section documentaire, le film de David Grieco, Notarangelo, ladro di anime (2019) crée la surprise, en restituant l’immense œuvre photographique de Domenico Notarangelo sur la région de Matera. Un hommage essentiel à ce reporter humaniste de la Basilicate. Parmi cette moisson d’images en noir et blanc, le portrait de Pasolini sur le tournage de L’Evangile selon Saint Matthieu. Ainsi que toute une iconographie sociale d’une région déshéritée, vibrante de sensibilité.
Le festival Viva il cinema ! récompense chaque année deux films en attribuant deux prix : le prix de la ville de Tours (avec un jury composé de professionnels du cinéma, de la presse, des élus de la ville et autres personnalités), et le prix Public Jeune (avec un jury composé de jeunes étudiants, notamment de l’école de cinéma et d’audiovisuel de Tours : l’ESCAT). Les trophées sont des moulages miniatures de la sculpture emblématique de la ville de Tours : le Monstre de l’artiste Xavier Veilhan.
Cette année, les deux jurys ont choisi le même film : Selfie (2019) d’Agostino Ferrente, le récit émouvant de deux amis vivant dans une banlieue de Naples, filmé avec leur téléphone portable. Ils décrivent leur vie quotidienne dans ces quartiers hantés par la Camorra où règnent violence et pauvreté. Dans cette société précaire et instable, l’amitié constitue la seule arme pour lutter contre la désespérance. Le mode « selfie » apporte à ce témoignage un réalisme sans filtre et une proximité bouleversante. Très vite le fond l’emporte sur la forme : le spectateur peut être gêné au début du récit par la faible qualité de l’image mais il est vite emporté par la sincérité des dialogues et l’aspect « reportage » en direct. Ce film à la facture résolument contemporaine aborde des thématiques finalement universelles : la vie, l’amour, la mort.
Les quatre autres films en compétition ont également séduit le public. Notamment le premier film d’un tout jeune réalisateur romain d’origine bengali : Bangla (2019) de et avec Phaim Bhuiyan. Une comédie romantique très rythmée sur le thème de l’identité culturelle. Tournée dans le quartier multi-ethnique de Rome où il est né, Topignattara, et où il vit toujours avec sa famille, l’histoire de Bangla, inspirée de la vie de l’auteur, parle de l’amitié, de la musique et de l’amour dans le contexte d’’une communauté bengali installée à Rome depuis deux générations. Les désirs du jeune homme sont partagés entre le maintien d’une tradition familiale du temps passé et sa vie personnelle de jeune romain bien ancré dans son époque.
Il Campione (2019) de Leonardo D’Agostini, confronte une jeune étoile du l’AS Roma à un professeur chargé de lui donner des cours particuliers. La rencontre improbable entre ces deux personnages donne lieu à des situations comiques pour se transformer en une véritable prise de conscience basée sur la profondeur de la relation qui se tisse malgré toutes les divergences d’origine qui opposent les protagonistes.
Avec Effetto Domino (2019) Alessandro Rossetto signe une fresque ambitieuse sur les ravages de la logique capitaliste mondialisé. Dans une station thermale de Vénétie un géomètre et un agent immobilier se lancent dans un projet pharaonique : transformer des hôtels de luxe en résidences de luxe pour personnes âgées. L’effet domino se déclenche lorsque le banquier impliqué retire son soutien financier. La machine à broyer impitoyable se met alors en marche.
Enfin le film de Costanza Quatrifoglio, Sembra mio figlio (2018), retrace avec beaucoup de sensibilité le voyage d’Ismaël à la recherche de sa mère dans les montagnes d’Afghanistan. Son frère et lui sont issus d’une minorité ethnique persécutée, les Hazara. Ils ont fui les Talibans et trouvé refuge en Italie. Mais la nostalgie de la terre et de la famille est toujours vive. Un jour, une opportunité se présente pour Ismaël de rallier les terres arides et montagneuses où il pourra peut-être retrouver sa mère. Commence alors l’impossible voyage. Ce film très émouvant rend compte d’une réalité contemporaine et des bouleversements psychologiques induits par la rupture avec les liens familiaux dans un pays en guerre.
Pour ajouter un peu de légèreté dans la programmation de 2020, le VIC a proposé également quelques comédies déjantées autour du thème de la famille. Comme dans Genitori quasi Perfetti, de Laura Chiossone (2019) avec Anna Foglietta troublante de réalisme en mère célibataire joyeuse, aimante et… stressée. La célébration de l’anniversaire de son fils, Filippo, huit ans devient le théâtre d’un psychodrame à l’italienne. Dans la cuisine, les parents invités s’affrontent dans leurs convictions idéologiques qui vacillent au fil du récit, tandis que les enfants gâtés règlent leur compte et dévoilent leur personnalité au salon. La férocité pleine d’humour monte en crescendo et la comédie s’achève sur une morale douce-amère. Il y a de la tendresse et du rythme dans ce film réjouissant.
Dans Croce e Delizia (2019) de Simone Godano, avec Alessandro Gassman, la comédie s’empare d’un thème souvent abordé : celui de l’homosexualité. Dans le cadre idyllique de Gaeta, en bord de mer dans le Latium, deux pères de famille amoureux orchestrent des vacances afin que leurs familles respectives se rencontrent. Ils ont le projet d’annoncer non seulement leur liaison mais aussi leur mariage. Le tsunami émotionnel que provoque cette déclaration fait sauter les non-dits, les tabous et invite à dépasser tous les préjugés.
Les femmes en tant que sujet sont présentes à travers deux films subtils. Nome di Donna (2018) de Marco Tullio Giordano qui aborde le thème des abus de pouvoir, du harcèlement et en contre point, de la dignité. Nina s’installe avec sa fille en Lombardie et travaille dans une résidence pour personnes âgées. Très vite la situation se dégrade sous les avances insistantes du directeur de l’institution.
Ride, premier long métrage de Valerio Mastandrea (2018) met en scène une jeune veuve pétrifiée dans ses émotions. A la veille d’enterrer son mari, un ouvrier mort sur son chantier, Carolina cherche en vain à exprimer sa douleur. Un film intimiste tout en délicatesse.
Comme nous le voyons, le cinéma italien reste essentiellement un cinéma de la réalité. Il rend compte des problématiques qui traversent la société italienne : la pauvreté, la précarité, la situation dramatique des migrants, les relations Nord Sud, la mafia, la violence, l’injustice etc.
« De plus le cinéma italien n’est plus porté par une situation économique florissante comme cela pouvait être le cas lors de son âge d’or. Les réalisateurs actuels ne sont pas certains que leurs films seront vus, et pourtant ils restent déterminés, » souligne Louis D’Orazio. « Il n’est pas paradoxal de constater que la plupart des cinéastes italiens actuels sont originaires du sud de l’Italie, où les difficultés sont les plus criants, » ajoute-t-il. Plus largement, comme dans tous les domaines de la création contemporaine, le cinéma d’auteur est le reflet des problèmes que la société et plus généralement la civilisation occidentale rencontre avec son cortège de prises de conscience et d’interrogations philosophiques, existentielles, sociologiques et politiques.
Cependant, le cinéma italien a ce pouvoir enchanteur de glisser des lumières dans les ténèbres de notre époque et de faire émerger des sourires et de l’espoir, quelle que soit la noirceur de la situation. En somme, l’humanisme et l’humour qui caractérisent les créations transalpines, constituent un angle d’observation magnifique pour s’interroger avec profondeur et dérision sur le spectacle du monde. Et lorsque la poésie vient bousculer le réalisme, nos esprits s’envolent. Viva il cinema !
Jenny G. Chevallier
Docteure en anthropologie visuelle
Journaliste free lance